Cela fait près de vingt-cinq ans – plus précisément depuis 1992 et l'adoption de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (UNFCCC) – que la planète attendait que l'humanité se réunisse sérieusement pour s'accorder sur des engagements politiques communs en réponse aux dérèglements climatiques. Certes il y a eu Kyoto, mais cela n'a concerné, dès le départ, qu'une fraction de l'humanité, fraction qui s'est même quelque peu détricotée, avec la non-ratification de quelques (grands) acteurs.
Source : Le Jeudi
Publication date : 12/17/2015
L'humanité s'était à nouveau donné rendez-vous, à Paris cette fois, lors de la 21 e Conférence des parties à l'UNFCCC, rendez-vous qu'elle n'a pas manqué. Laissant temporairement au vestiaire les mentalités petitement fermées, les négociateurs étaient bien décidés à accoucher, au forceps s'il le fallait, d'un texte qui voit plus loin que le bout de leur… mandat.
Oui, l'«Accord de Paris» est loin de la perfection et il ne faut pas compter dessus pour sortir la planète de la dérive climatique dans laquelle la minorité «occidentale» de l'humanité l'a engagée. Il est d'une telle faiblesse qu'il tend même à faire de «l'échec de Copenhague» 2009 un succès.
La toute grande force de l'accord vient du fait qu'il émane de l'ensemble des Etats du monde, et cela n'est pas à sous-estimer. Aussi ses faiblesses – elles sont nombreuses – pourraient-elles s'avérer à terme être autant de «petites» forces car, contrairement à Kyoto, il sera, cette fois, difficile de trouver une bonne raison pour ne pas ratifier. Supposant donc que le texte sera signé et ratifié « urbi et orbi », on peut dire dès maintenant que la quasi-totalité des Etats de la planète partagent une vision à long terme de la politique climatique. Ce sont les détails de cette vision qui recèlent les plus grosses faiblesses de l'accord. Par exemple, si ce dernier améliore les «2 °C» de Copenhague en énonçant un objectif visant à contenir «l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C», il ajoute de la confusion en invitant à «[poursuivre] l'action menée pour limiter l'élévation des températures à 1,5 °C». La confusion ouvre la porte à toutes les interprétations. Autre exemple: alors que l'idée de la conférence était tout de même de donner au moins quelques points de repère datés, plus d'un observateur aura été surpris de voir que la date de 2020 pour le pic des émissions s'est délitée en un «plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais».
Incohérences
Ou encore, si l'accord oblige les pays développés responsables du dérèglement climatique à «[fournir] des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement (…) aux fins tant de l'atténuation que de l'adaptation», le montant «plancher» de 100 milliards de dollars par an, déjà prévu à Copenhague, a été sorti de l'accord proprement dit pour être repris dans une liste de «décisions visant à donner effet à l'accord» et on ne sait pas de façon claire si cette disposition est elle aussi soumise à ratification.
En plus du flou, le texte est affaibli par des incohérences. Alors que l'on ne peut que se féliciter des engagements de réduction volontaires d'émissions (NDC) soumis par la quasi-totalité des Etats, force est de constater que ces NDC ne suffiront pas, surtout si le seuil de la hausse maximale de la température moyenne devient 1,5 °C. Une des conséquences de cette insuffisance est la mise en place d'un «cadre de transparence» et l'élaboration d'un «bilan mondial» permettant de périodiques révisions des engagements à la hausse. A cette cohérence heureuse, s'ajoute malheureusement l'incohérence de ne pas voir se renforcer drastiquement les efforts financiers pour l'adaptation. Car, si 100 milliards de dollars par an sont devenus un «niveau plancher», l'estimation du montant annuel nécessaire dès aujourd'hui est plutôt de l'ordre de 1.000 milliards, montant qui ne pourra qu'augmenter tant que les efforts d'atténuation ne seront pas à la hauteur. Par ailleurs, l'on cherche en vain le fameux « signal à l'ensemble de la société que, cette fois, c'est décidé, nous allons décarboniser », tant espéré durant les mois précédant la conférence (voir Carole Dieschbourg dans Le Jeudi du 25 juin 2015). L'on trouve en revanche d'inquiétants indices du contraire. Concernant les émissions, il n'y est en effet mention que d'«atténuation», de «plafonnement» et d'«équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits (…) au cours de la deuxième moitié du siècle». A côté d'un accord de type «pot de fer», style TTIP, par exemple, avec ses contraintes claires et la mise en place d'une cour d'arbitrage spécifique, les interprétations de ces formulations dans le sens d'une obligation de décarboniser pourraient relever du pot de terre.
L'on cherche aussi ce qui est vraiment «juridiquement contraignant» dans cet accord.
Certes, dès son entrée en vigueur, il le deviendra naturellement pour les Etats l'ayant ratifié. Mais qu'est-ce qui le deviendra, en fin de compte? Les intentions, la bonne foi, la réduction maximale des émissions le plus rapidement possible, la participation aux comités et autres groupes de travail… On est loin des budgets carbone du Giec. Carole Dieschbourg, ministre luxembourgeoise de l'Environnement assumant à Paris la présidence, et donc la coordination des négociations, du Conseil de l'Union européenne, explique à cet égard: « Depuis le début, il était apparu que certains pays, comme les Etats-Unis, n'allaient pas pouvoir accepter un accord légalement contraignant. C'est pour cela que nous, Européens, avons exigé la définition d'un cadre de transparence et de révision des ambitions et du respect des règles le plus engageant possible. Notre exigence était d'autant plus déterminée qu'en tant qu'Européens nous savons combien un bon cadre peut finir par rapprocher les points de vue. »
Effectivement, à la lecture du texte, les articles les plus chargés du potentiel de faire concrètement bouger les lignes, ne sont autres que ceux qui portent, avec détails et précisions, sur ce cadre, c'est-à-dire sur la transparence, sur l'évaluation régulière du bilan et de la possible révision des engagements et sur le comité chargé de veiller au respect global de l'accord, fût-ce «d'une manière (…) non conflictuelle et non punitive».
Seul l'avenir révèlera la vraie portée de l'accord de Paris. Mais s'il devait s'avérer être une réussite, ce «cadre» en aura très certainement été la pierre angulaire.
«L'accord a depasse l'attente» Pour le Dr Andrew Ferrone (R&D Associate, Observatory for the Climate and the Environment, Luxembourg Institute of Science and Technology – LIST), « l'ambition de l'Accord de Paris a dépassé l'attente de tous ceux impliqués dans le processus, en particulier en vue des négociations très tendues pendant les jours et nuits finals. Ceci a notamment été possible grâce à une présidence française exemplaire de la conférence et aussi à un effort commun de l'Union européenne, sous présidence luxembourgeoise, de pousser pour un accord ambitieux et juridiquement contraignant. Comme Laurent Fabius, président de la conférence, l'a noté: "Ce texte constitue le meilleur équilibre possible, puissant et délicat, qui permettra à chaque délégation de rentrer chez elle la tête haute et avec des acquis importants" ». |
David Broman