• La diversification économique du pays se poursuit, en misant sur les convergences entre secteurs.
• Annoncé pour cette année par Étienne Schneider, l'audit sur les secteurs concernés permettra d'ajuster le tir.
• Après l'espace, l'automobile et les écotechnologies attendent leur projet phare pour rayonner à l'international.
Source : PaperJam
Publication date : 04/01/2016
Pour récolter les fruits qui permettront de nourrir un pays via ses entreprises, il incombe avant tout de disposer d'une vision. Celle de la diversification de l'économie du pays, les gouvernements l'ont fixée et adaptée historiquement autour de niches de souveraineté (l'acier pour sortir d'un pays essentiellement agricole), puis de compétences (la place financière pour pallier le déclin de l'acier). Si la notion de diversification économique a pris de l'ampleur depuis une dizaine d'années, le processus remonte aux années 60 avec la diversification de l'industrie. Quarante ans plus tard, le salut ne passe plus par un seul, mais par plusieurs secteurs lorsqu'il s'agit de trouver de nouveaux ressorts.
Le trinôme ICT, biotechnologies et écotechnologies illustre cette dynamique. À l'instar des kilomètres de fibre - le 1.000e a été célébré par Luxconnect le 21 mars - déroulés dans le pays, la diversification nécessite comme condition sine qua non une impulsion d'envergure des pouvoirs publics. L'État, en tant qu'initiateur des projets, doit aussi débloquer les premiers fonds, souvent importants, pour créer le socle d'un nouveau secteur et remplir les conditions de base pour que des activités voient le jour, et que des entreprises soient convaincues de s'établir au Luxembourg.
Hasard du calendrier ou anticipation, le plan en faveur des biotechnologies avait été présenté en juin 2008 à l'époque par les trois ministres en charge de !'Économie, de la Recherche et de la Santé, respectivement Jeannot Krecké, François Biltgen et Mars di Bartolomeo. 140 millions avaient été débloqués sur cinq ans pour développer des compétences en médecine moléculaire, anticipant le besoin d'une médecine de plus en plus personnalisée. Des partenariats avec trois instituts de recherche américains et la venue de signatures internationales ont permis l'émergence et la reconnaissance en dehors des frontières de l'Integrated Biobank of Luxembourg (IBBL) et du Center for Systems Biology Luxembourg (CSBL).
En 2016, le secteur des biotechnologies représente 177 acteurs et 39.620 employés, si l'on y inclut le milieu hospitalier. Elles ne sont plus que 40 entreprises et quelque 800 emplois si on se limite aux membres du Luxembourg BioHealth Cluster évoluant sous l'égide de Luxinnovation. Il n'empêche, l'écosystème s'est rapidement développé. Du côté public, les centres de recherche fusionnés dans le List et l'Université ont reçu comme mission d'axer leurs travaux vers des retombées économiques, soit une orientation marquée vers la recherche appliquée. Dans le secteur privé, des entreprises comme Fast Track Diagnostics (vainqueur cette année de l'Export Award de l'Office du Ducroire et de la Chambre de commerce), Complix et Wafergen ont trouvé au Luxembourg un terrain fertile pour leurs activités.
«Le Luxembourg dispose d'atouts pour bien se vendre, déclare Thomas Dentzer, en charge des sciences de la vie au sein de Luxinnovation et du cluster ad hoc. Nous pouvons notamment mettre en avant un support volontariste des pouvoirs publics comme élément déterminant. L'utilisation du territoire comme zone de test d'un produit avant de passer à des marchés plus importants est aussi un argument qui peut faire la différence.»
En recherche...
de recherche privée
Outre son soutien, l'État doit aussi stimuler la recherche privée, tant la R&D est un vecteur essentiel de croissance des nouveaux secteurs. «Le Luxembourg ayant su attirer d'excellents chercheurs étrangers, les performances scientifiques de la recherche publique ont progressé très rapidement et sont désormais supérieures à la moyenne de l'UE, indiquent les services de la Commission européenne dans un document de travail conjoint à son rapport 2016 sur le Luxembourg.
Ce résultat contraste cependant violemment avec la forte diminution de l'intensité de la R&D au sein du secteur privé (passée de 1,5 % du PIB en 2000 à 0,7% en 2014). Cette situation s'explique en partie par le déclin continu d'une base industrielle déjà mince et par la faible intensité d'investissements dans le secteur financier. Toutefois, elle montre aussi que les efforts du secteur public n'ont pas d'effet de levier sur l'investissement des entreprises dans la recherche et l'innovation. »
Il y a donc urgence en la matière. La nouvelle loi encadrant le régime RDI soutenant les entreprises innovantes et l'évolution de Luxinnovation vers une agence de financement sont deux éléments qui devraient faciliter les opérations, même si l'enveloppe ne sera pas forcément élargie. Le facteur temps pour obtenir une aide et donc travailler sur un nouveau projet peut s'avérer décisif.
«Je pense que nous sommes sur la bonne voie», déclare Raymond Schadeck, président de Luxinnovation. L'agence nationale de promotion de l'innovation est au cœur du processus de diversification, en coordonnant l'action de six clusters (composants automobiles, sciences de la vie, écotechnologies, technologies de l'information et de la communication, matériaux et technologies de production et technologies spatiales), pour autant de secteurs dans lesquels le Luxembourg veut poursuivre l'aventure.
Au rayon des récents développements, la concrétisation du projet de campus automobile à Roost, dans la commune de Bissen, permet au cluster automobile de se doter d'une vision ambitieuse. L'objectif est de profiter d'un site de 14 hectares actuellement détenu par Goodyear pour y loger des activités de R&D, de test à destination des entreprises du secteur - groupes internationaux ou start-up - qui y mutualiseraient les moyens. Il y a fort à parier que la quarantaine d'entreprises actives dans le domaine au Luxembourg (dont des leaders mondiaux des composants) sera intéressée par la formule du partenariat public-privé choisie pour exploiter le site qui devrait ouvrir fin 2018, d'après l'agenda initial.
Après l'annonce par Étienne Schneider de la volonté du gouvernement de se positionner sur le long terme dans l'exploitation des matériaux spatiaux, le projet automobile est de nature à confirmer les pistes de diversification empruntées. «Je crois que le secteur automobile dispose d'un grand potentiel pour les années à venir, déclarait le ministre de l'Économie à Paperjam.lu. Nous ne produisons pas de voitures, mais nous disposons d'un grand savoir-faire dans les pièces détachées et les composants, avec l'avantage d'être situés géographiquement au centre des grands producteurs français, italiens et anglais.»
Le besoin de projets phares
Quel avenir pour la diversification? Le ministre de l'Économie a annoncé en janvier qu'il souhaitait soulever la question. Et par là même mener, courant de l'année, un audit sur les axes empruntés, afin de corriger certains - voire de les abandonner - ou d'en développer d'autres. «Je souhaiterais que le travail soit terminé pour le débat à la Chambre sur la compétitivité du pays», ajoutait le ministre.
Si l'on ne doit pas forcément s'attendre à une révolution en la matière, l'expérience montre que la diversification économique tient avant tout des caractéristiques propres au pays. Le managing partner de KPMG, Georges Bock, appelle cette convergence entre secteurs de ses vœux dans les fintech. Le cluster automobile travaille pour sa part sur les voitures connectées qui seront une tendance de fond pour les prochaines années. Une aubaine pour permettre au Luxembourg de profiter d'une expérience dans les composants automobiles et dans l'ICT.
Outre son caractère international, le Luxembourg doit avant tout s'assurer d'une proximité entre les acteurs économiques et parties prenantes. «Nous devons moins vendre notre offre de valeur qu'être capables d'attirer de nouvelles sociétés en les prenant par la main, indique Raymond Schadeck. Peu d'autres villes sont capables de le faire.»
La fusion de Luxinnovation et de Luxembourg for Business vise justement à affiner la promotion économique du pays. Des projets phares, tels que Neobuild à Bettembourg, autour des technologies de la construction, et le futur centre d'économie circulaire à Wiltz, doivent servir d'étendard pour justifier un positionnement à l'international.
La ville du nord du pays a en effet été désignée pour devenir la capitale de l'économie circulaire, à l'échelon national, voire européen. Alternative aux modèles qualifiés de linéaires, l'économie circulaire travaille sur des circuits courts et intègre l'usage et le recyclage des ressources dans un projet afin de former des chaînes de valeur fermées ou cycliques.
La volonté du Luxembourg de s'insérer dans cette mouvance fait suite à la présentation, en février 2015, d'une étude réalisée par EPEA - Internationale Umweltforschung GmbH -, en collaboration avec Returnity Partners, sur le potentiel circulaire pour le pays par la secrétaire d'État à l'Économie, Francine Closener. 15.000 emplois relèveraient d'ores et déjà des modèles circulaires au Grand-Duché, avant tout dans l'industrie sidérurgique et la construction. D'après les projections de l'étude, l'économie circulaire générera à moyen terme des économies entre 300 millions et un milliard d'euros par an en coûts d'approvisionnement pour les entreprises luxembourgeoises et le modèle devrait, s'il est développé à grande échelle, générer plus de 2.200 emplois dans les prochaines années, pour peu que les notions de smart city et d'amélioration de la mobilité suivent.
Un groupe de travail réunissant les ministères de l'Économie, du Développement durable et des Infrastructures, ainsi que Luxinnovation, travaille sur les prochaines étapes du projet, qui passera inévitablement par une phase pédagogique.
«Nous ne pouvons pas faire changer directement le business model de l'artisan menuisier, mais nous pouvons par exemple l'aider à identifier d'autres vernis à utiliser, à choisir des bois plus locaux pour l'ouvrir à d'autres chaînes de valeur plus locales», indique Marcel Klesen, cluster manager du Luxembourg Ecoinnovation Cluster. Et si le principal défi, outre celui de disposer des compétences nécessaires, de la diversification économique du pays ne tenait pas, avant tout, à expliquer à la population les bénéfices attendus de tels ou tels concepts et la possible raréfaction de revenus dans certaines branches d'activité? Après l'annonce, par exemple, d'une recherche spatiale qui peut faire penser à de la science-fiction ou de l'investissement dans le secteur automobile, il est aussi important de penser à la communication auprès des principaux concernés: les habitants du pays.
EN RÉSUMÉ
Proximité entre les acteurs et intégration des filières seront des clés pour le futur de la diversification économique du pays. Le ministre de l'Économie veut conduire un audit des voies empruntées, tout en poursuivant le développement de projets phares pour faire connaître le pays à l'étranger.
Le calcul des synergies La diversification économique se conçoit de plus en plus à l'intersection de différents secteurs. Le projet de supercalculateur européen lancé par le Luxembourg, en collaboration avec la France et l'Italie et le soutien de la Commission en est l'illustration. Le méga ordinateur doit permettre de mener des travaux de recherche dans les biotechnologies ainsi que dans le secteur spatial. Étienne Schneider veut mettre toutes les chances du côté du Luxembourg pour que le high performance computing (HPC) soit hébergé au Luxembourg, tant pour les besoins domestiques de nouveaux projets que pour l'émergence d'un nouveau centre d'expertise. Premier signal encourageant, c'est l'équipe du List qui a été désignée pour défricher le terrain et dessiner un agenda pour le projet. Un agenda qui devrait être acté d'ici septembre, lors d'un sommet européen. |