Finance verte : greenwashing et fausses promesses

Le LIST vient de démontrer que faute d'une réglementation vraiment efficace, il ne faut surtout pas croire sur parole le monde de la finance lorsqu'il évoque son engagement pour la planète.

Source : Le Quotidien
Date de publication : 29/03/2025

 

La finance ne tient pas toujours les promesses qu'elle porte en étendard. Son action écologique ne fait pas exception. Bien que des efforts soient réalisés pour mieux encadrer le contenu de ces produits, une étude attentive des investissements proposés confirme qu'il faut prendre les effets d'annonce avec des pincettes. Très souvent, c'est bien le greenwashing qui prédomine.

Avec le Luxembourg Green Exchange (LGX), la place financière s'est vite placée sur la carte pour attirer ce type de produits verts. Lancée en 2016, la plateforme a été la première dédiée exclusivement aux instruments financiers verts, sociaux et durables. Sur le portail officiel du Grand-Duché de Luxembourg (luxembourg.lu), on apprend qu'«avec 133 obligations vertes, d'une valeur cumulée de 63 milliards d'euros, la jeune Bourse verte du Luxembourg Stock Exchange est le leader mondial sur le marché avec presque la moitié des obligations vertes cotées».

Depuis les accords de Paris (2015), la finance verte est en plein développement. Théoriquement, elle est censée se concentrer sur le financement de projets ayant un impact environnemental positif, comme les énergies renouvelables et tout ce qui promeut l'efficacité énergétique.

Elle s'est imposée ces dernières années comme un levier pour orienter les capitaux vers des investissements plus durables et compatibles avec la transition énergétique. Fonds labellisés, obligations vertes, critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont autant d'outils censés garantir que les flux financiers participent réellement à la lutte contre le réchauffement climatique et à la préservation de l'environnement.

Dans le meilleur monde possible, tout cela serait très vertueux, mais la réalité est nettement plus nuancée, comme l'ont démontré plusieurs études menées par le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) ces derniers mois. Leurs résultats mettent scientifiquement en évidence les failles et limites de cette approche.

Contradictions et tromperies

L'article intitulé «Investment funds are responsible for substantial environmental and social impacts», rédigé par Ioana-Stefania Popescu, Thomas Schaubroeck, Thomas Gibon, Claudio Petucco et Enrico Benetto a été publié dans Nature le 29 juin 2024. Il y présente un examen approfondi des mécanismes de la finance verte en croisant plusieurs démarches : un examen des cadres et des normes en vigueur (notamment européens), une analyse des instruments financiers «verts» et de leur évolution sur les marchés, des entretiens avec des acteurs du secteur (banques, investisseurs institutionnels, gestionnaires de fonds, entreprises) afin de comprendre leurs stratégies et leurs contraintes, ainsi qu'une évaluation des impacts réels des investissements verts.

Cette approche rigoureuse a permis de mettre en lumière de nombreuses contradictions. Le premier constat est que nombre d'acteurs financiers et économiques pratiquent un verdissement superficiel de leurs activités. Le manque de normes contraignantes et l'hétérogénéité des labels (y compris au sein de l'Union européenne) permettent à certaines entreprises de se prévaloir d'une démarche verte sans modifications structurelles profondes. Certaines banques n'hésitent pas à financer des énergies fossiles tout en promouvant des produits financiers estampillés «verts».

L'Union européenne a bien introduit des normes, mais leur application reste complexe et parfois floue. Beaucoup de labels manquent de robustesse et permettent d'inclure des actifs peu respectueux des objectifs climatiques. Par ailleurs, les critères ESG sont définis de manière variable et leur application est laissée à l'appréciation des entreprises et des gestionnaires d'actifs. En conséquence, si la finance verte souhaite éviter le greenwashing, elle doit d'abord apprendre à évaluer de manière objective l'efficacité de sa réglementation.

Faire mieux est possible

De manière générale, un des freins majeurs est le court-termisme du marché financier, qui mise davantage sur une rentabilité immédiate que des projets réellement durables. Les obligations vertes, par exemple, doivent souvent offrir des rendements compétitifs par rapport aux obligations traditionnelles, ce qui peut limiter les financements dans des initiatives à long terme dont le retour sur investissement est moins immédiat. Une obligation est un titre de créance émis par une entreprise, un État ou une collectivité territoriale pour financer ses activités ou ses projets.

Si l'étude du LIST critique la situation actuelle, elle propose aussi des pistes d'amélioration. Parmi elles, le renforcement de la réglementation avec l'établissement de critères harmonisés au niveau international. Un système uniformisé à l'échelle du globe éviterait que des entreprises profitent de la diversité des normes pour valoriser artificiellement leur image. En ce sens, la taxonomie verte européenne constitue une avancée, mais elle doit être élargie et appliquée de manière plus rigoureuse. Ce règlement a été adopté par l'UE entre 2020 et 2023 pour classifier les activités économiques en fonction de leur impact environnemental. L'évaluation des investissements verts doit ainsi être fondée sur des critères transparents et scientifiquement validés.

Pour dépasser la logique financière court-termiste, l'étude indique qu'il est crucial d'encourager les investisseurs à adopter des stratégies alignées avec les objectifs climatiques à long terme. Cela peut passer par des incitations fiscales, des mécanismes de bonification pour les projets démontrant un impact réel ou encore par la mise en place d'indices boursiers valorisant les entreprises réellement engagées dans la transition écologique.

Des mécanismes de contrôle plus stricts doivent être instaurés pour s'assurer que les entreprises et institutions financières respectent véritablement leurs engagements. Cela peut inclure des audits indépendants, des sanctions pour les pratiques trompeuses et une meilleure information du public sur les critères d'attribution des labels.

Si la finance verte représente une opportunité pour orienter les capitaux vers des projets plus durables, elle est donc encore loin d'être une solution miracle. L'étude du LIST met en évidence les limites de son application actuelle, marquée par le manque de transparence et la persistance du greenwashing. «L'avenir de la finance durable repose sur des méthodologies robustes, des données vérifiables et des outils fiables pour mesurer l'impact des investissements. C'est ainsi que nous éviterons le greenwashing et construirons une finance qui contribue réellement à la transition vers un futur où les bénéfices sociaux et environnementaux seront au centre de notre action», conclut le chercheur Enrico Benetto, sur le site list.lu.

La CCSF est aussi sur ses gardes

La Commission de surveillance du secteur financier (CCSF) a lancé en fin d'année dernière une campagne pour mettre en garde les investisseurs à propos du greenwashing dans la finance. «Il est important de rappeler que tout ce qui se déclare comme "vert" ou "durable" ne l'est pas nécessairement», rappelle le gendarme du secteur. Dans le communiqué de presse, son directeur Claude Marx ajoutait que «tout ce qui est peint en vert n'est pas vert».

Faute de pouvoir compter sur un système de régulation vraiment efficace, la CSSF fait appel à l'«esprit critique» des investisseurs et donne une série de conseils : «ne vous fiez pas aux apparences», «évitez les promesses vagues», «cherchez des homologations vérifiées», «diversifiez vos investissements», «consultez un conseiller spécialisé».

Erwan Nonnet

 

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