«Jouer un rôle de guide»

L’Université du Luxembourg entame la deuxième phase de son développement, sur le campus flambant neuf de Belval, qui fait sa première rentrée. Neuf mois après son intronisation, le recteur Rainer Klump a une vision claire pour le futur. Les fils rouges: international, recherche collaborative et numérique. Différents projets sont encore dans les cartons, dont celui de monter une filière médicale.

Source : PaperJam
Date de publication : 14/10/2015

 

Monsieur Klump, quel premier bilan pourriez-vous tirer de ces neuf mois aux commandes de l’Université du Luxembourg?

«Je suis toujours en phase de découverte. J’apprends tous les jours de nouveaux aspects de cette université. Je suis en train de cerner la culture locale et j’essaie encore de comprendre comment notre institution peut jouer un rôle plus marqué dans la société et ce qu’elle peut apporter à la science et à la recherche mondiale. Je suis très impressionné par l’atmosphère internationale et multilingue qui y règne. Ce n’est pas un vain mot, nous vivons ce multiculturalisme au quotidien. Le corps enseignant est composé de professeurs issus de 25 pays et on retrouve 107 origines différentes dans les 6.147 étudiants que nous comptions à la rentrée passée. On entend presque toutes les langues dans les couloirs! Chaque réunion du conseil académique se déroule en au moins trois langues, c’est très stimulant et cela illustre le côté ‘laboratoire de l’Europe’ de l’Uni.

Une de vos premières tâches était de définir une stratégie robuste pour les 10 prochaines années, quels en seront les piliers?

«Je vois l’Uni comme une porte d’entrée vers l’Europe pour nos partenaires étrangers. Ma plus grande ambition est d’asseoir sa réputation d’université moderne, interdisciplinaire, multiculturelle, et concentrée sur des secteurs de recherche de pointe comme la biomédecine et l’ICT. Pour y parvenir, les clés de voûte seront le numérique, les collaborations interdisciplinaires nationales et internationales, et l’investissement soutenu dans la recherche. Grâce à tout le travail effectué par Rolf Tarrach, mon prédécesseur, l’Uni n’est plus une petite start-up; il lui faut à présent devenir une institution reconnue.

Comment cette stratégie sera-t-elle validée?

«Elle devra être approuvée par le conseil de gouvernance d’ici la fin 2015 et discutée avec les stakeholders externes. Un plan d’action suivra dans la foulée en début d’année prochaine. Il sera, bien sûr, en lien avec nos plans quadriennaux.

Plus que jamais, l’université veut se positionner comme un acteur majeur sur la scène de la recherche internationale, que lui manque-t-il encore pour y parvenir?

«Un des aspects qui peuvent être améliorés rapidement est le recrutement de profils reconnus. Pour séduire les meilleurs chercheurs, les processus RH doivent être plus rapides et transparents. Nous allons étendre l’équipe administrative, améliorer les délais. Malgré un contexte financier assez tendu, nous sommes également parvenus, cette année, à recruter cinq professeurs, en mathématique, anglais, droit européen et sciences de la jeunesse. En étant à Belval, l’Uni est à même de couvrir tout le cycle de l’innovation, de la recherche fondamentale jusqu’au soutien de spin-off. Elle a toutes les clés en main pour développer sa renommée.

Votre arrivée a coïncidé avec le déménagement effectif à Belval. Quel nouvel élan le nouveau bastion va-t-il donner à l’université?

«Le projet Belval est à la fois une opportunité immense de se réinventer et un défi logistique et humain sans précédent. Pour prendre un exemple, la Cité des sciences répond pleinement à un besoin de davantage de ponts entre les disciplines. Creuset d’innovation, ce campus sera équipé des meilleures installations de recherche, ce qui va nous permettre d’opérer un saut qualitatif conséquent. Pour nos doctorants, avoir un accès facilité aux scientifiques du List ou du Liser est plus que précieux. Tout un écosystème est en train de se mettre en place autour de l’Uni, du FabLab au Technoport. C’est clairement un grand pas pour l’avenir de l’Uni et un signal clair de son entrée dans une deuxième phase. Même s’il nous reste beaucoup de travail, la feuille de route est précise et les orientations bien fixées. Les deux années à venir verront les plans des autres sites arrêtés. Le campus du Kirchberg, dédié à l’économie et la finance, sera aussi redessiné. Ce sera notre point de chute en ville.

L’aspect «campus», qui faisait défaut auparavant, va-t-il contribuer au rayonnement de l’Uni?

«L’atmosphère d’un campus a un effet très positif sur l’enseignement, j’ai notamment pu m’en rendre compte lors de mon passage à l’université de Francfort. Combiner vie universitaire et vie de quartier est très riche. La Rockhal, le cinéma, les restaurants offrent une qualité de vie agréable et participent à l’attractivité du site. Encore développer le logement est une de nos priorités. D’ici la rentrée, les étudiants pourront compter sur 38 résidences, comprenant un total de 800 unités de logements, situées aux quatre coins de la ville de Luxembourg, ainsi qu’à proximité d’Esch. Nous ouvrons la résidence Maison luxembourgeoise située à Belval-Nord et disposant de 45 chambres. D’ici 2017, cette offre sera étoffée. Plusieurs projets actuels vont se matérialiser dans les mois à venir pour atteindre le chiffre de 1.305 unités, situées pour la plupart dans la région sud voisine du site de Belval. Je dois souligner une belle mobilisation des communes avoisinantes. Un élément manque encore à l’appel: un centre sportif, pourtant prévu dans les plans initiaux, mais mis entre parenthèses. Il faudra sans doute encore quatre ou cinq ans avant de le voir sortir de terre.

Que fallait-il finaliser pour la rentrée académique du 14 septembre?

«L’administration centrale a désormais pris ses marques dans son nouvel environnement. Dans l’ensemble, les différents services étaient prêts. À la fin août, il nous restait à finaliser le programme de la semaine d’accueil pour les étudiants et les jeunes chercheurs, en grande partie coordonné par le bureau estudiantin. La rencontre prévoyait un petit-déjeuner offert à tous. L’idée est vraiment de célébrer ensemble, étudiants et professeurs, cette rentrée à Belval. Cette première semaine est émaillée de pique-niques, rencontres, etc. Nous devons également encore améliorer la visibilité de l’Uni sur le site même, sans doute grâce à des pancartes et logos supplémentaires et peut-être à l’aide d’une sculpture ou un projet artistique. Savoir se repérer sur le campus n’est pas encore chose aisée pour les non-initiés. Une fois les quelques ajustements nécessaires effectués, je suis certain que tout se passera bien!

Comment conserver l’esprit pionnier qui fait l’ADN de l’Uni?

«Cet esprit du début s’incarne aujourd’hui dans le recrutement. Nous recherchons des académiques dotés d’une fibre entrepreneuriale. J’ai déjà eu la chance de rencontrer de jeunes chercheurs qui ont cet esprit, osent et ont envie de créer quelque chose. C’est une chance pour l’université. Pouvoir compter sur des ‘intrapreneurs’ est indispensable pour en faire un modèle d’établissement en Europe. Le numérique participe également de cette volonté d’exemplarité. La vague digitale va transformer toutes les disciplines, y compris les sciences dites classiques. L’histoire, par exemple, voit ses pratiques réinventées. L’industrie n’est pas la seule à devoir s’adapter à cette révolution qui balaie tout sur son passage. L’enseignement, l’administration, la communication externe ou interne, ainsi que les liens avec la société en sont transformés. Je suis convaincu que l’Uni, de par sa taille modeste et son histoire récente, a tous les atouts en main pour créer un modèle d’université du 21e siècle innovant et disruptif.

Sortir l’université de sa tour d’ivoire fait partie de vos objectifs, comment parvenir à la rapprocher de la société civile?

«L’université doit à mon sens être le fer de lance du ‘nouveau Luxembourg’. Je la vois comme la force motrice de cette société de la connaissance qui se met en place. Elle ne peut plus fonctionner en vase clos. Pour se faire, il faut multiplier les contacts avec le monde politique et le secteur privé. Cette réflexion s’illustre notamment dans le nombre croissant de chaires financées par des acteurs publics ou privés. Depuis 2007, les huit chaires de dotation soutenues par des acteurs comme Atoz Tax Advisors, SES ou ArcelorMittal ont déjà abouti à des recherches pointues. Nous avons de gros efforts à faire pour améliorer notre communication générale pour toucher encore davantage le public.

Le projet de Maison du livre peut-il contribuer à cet effort de la rendre plus visible?

«L’ouverture de notre bibliothèque est prévue pour 2018. Je la considère comme le centre de tout. C’est l’unique bâtiment où l’université sera le seul maître à bord. Le lieu, conçu comme un espace vivant d’échanges et de discussions, sera un vrai learning centre. Ouverte au public, si possible 7j/7 et jusqu’à minuit, elle mêlera ainsi outils numériques, livres, espaces de coworking et possibilités de faire des webinars. Nous voulons en faire une plateforme d’apprentissage pour les citoyens, à l’image de l’Uni, jeune et dynamique.

L’université pourrait-elle jouer un rôle accru dans les débats sociétaux?

«Toute université doit faire partie intégrante de la société à laquelle elle appartient. L’Université du Luxembourg veut jouer un rôle de guide, être un lieu de réflexion nationale et de prise de recul, comme c’est le cas dans d’autres pays depuis des siècles. Sa taille actuelle le lui permet à présent. Elle a notamment déjà pu occuper ce terrain lors de la publication du rapport Artuso consacré à l’occupation allemande au Luxembourg ou lors du projet de nouvelle Constitution. Une plus grande ouverture est encore nécessaire pour qu’elle puisse être une vraie médiatrice dans les débats politiques et sociaux. C’est toute une culture à établir. Elle passera notamment par une collaboration encore plus étroite avec l’industrie et l’économie du pays, des liens plus étroits avec nos alumni, ainsi qu’une recherche approfondie de nouveaux canaux pour mieux communiquer les résultats de nos recherches au public. Si on prend l’exemple des fintech, l’Uni pourrait jouer une mission d’agrégateur de compétences techniques et financières et rassembler les acteurs concernés. Son rôle premier reste de préparer les leaders de demain.

L’avenir de l’Uni passera par l’international, comment œuvrez-vous à la faire connaître hors des frontières grand-ducales?

«Nous visons l’excellence mondiale, l’interdisciplinarité et la pertinence locale dans tout ce que nous entreprenons. Pour être plus visible à l’étranger, l’Uni va faire son apparition dans les rankings, notamment celui du Times Higher Education d’ici 2016. Nous avons déjà commencé à présenter les premières données. Les résultats sont déjà assez bons, surtout au niveau de la recherche. En parallèle, nous avons entamé une campagne de marketing internationale avec l’aide d’un partenaire. Ensuite, nous multiplions les collaborations bilatérales à l’étranger. Un des vice-recteurs est récemment allé à Singapour et je me suis rendu plusieurs fois aux USA, à Berkeley, en Californie, ainsi qu’à Stanford et à Columbia. En Chine, je viens également d’aller à Shanghai. Nous nous considérons comme une université de recherche, mon ambition est toujours de combiner partenariat scientifique et enseignement. Dans le domaine du soutien au développement, nous venons de signer un contrat de subvention avec l’Université de Bamako au Mali. Enfin, les erasmus et 300 échanges d’étudiants dans le monde contribuent aussi à notre réputation internationale.

Quelles sont les collaborations que vous souhaitez nouer au sein de la Grande Région?

«L’Uni veut être un acteur majeur de l’Université de la Grande Région aux côtés de l’Université de Liège ou de Saarbrücken. Très vivante, elle permet une multitude de collaborations. Nous travaillons, par exemple, avec les universités de Nancy et Metz dans le cadre de ‘l’université française d’excellence’. Nous avons également un projet de coopération transfrontalière avec Trèves dans le domaine des sciences numériques. Nous allons certainement encore développer d’autres synergies. Je suis heureux de voir qu’elles s’intéressent toutes de près au projet Belval. Il est possible que l’Université de la Grande Région prenne le statut d’asbl luxembourgeoise, ce qui renforcera encore ses liens avec le pays.

Qu’est devenu le projet d’école médicale poussé par le précédent gouvernement il y a deux ans? Est-il toujours d’actualité?

«L’opportunité de ce projet, proposé à mon prédécesseur en 2013, est toujours en train d’être étudiée. Deux études de faisabilité viennent d’être consacrées à ce sujet. La première, concentrée sur l’aspect académique et les possibilités de collaboration avec d’autres acteurs, était positive. La deuxième, orientée coûts, l’était moins. Une troisième étude, en cours, est en train de recalculer les coûts estimés. Le dossier devrait être définitivement validé ou repoussé d’ici 2016. À l’avenir, même si ce projet aboutit, il faudra continuer à trouver plus de places pour les étudiants luxembourgeois à l’étranger. Le pays a besoin d’une centaine de nouveaux médecins chaque année. Le projet d’école prévoit 50 places, les besoins ne pourront donc pas être entièrement couverts localement.

Quelles vont être vos priorités d’ici la fin de l’année?

«La première chose sera de continuer à développer Belval et le campus du Kirchberg. Ensuite, je terminerai le travail de définition de la stratégie entamé au mois de mars. Je compte également amorcer une réflexion autour du fundraising. Je vois un grand potentiel de financement dans la philanthropie. De nombreuses universités fonctionnent avec des dons privés et financent des doctorats de cette manière. Nous pourrions nous en inspirer, en particulier dans les secteurs de la santé ou l’histoire. Autre tâche à l’agenda, nous allons aussi d’ici peu nous atteler à un travail de réorganisation interne pour doper l’efficacité des différentes unités.

À quoi ressemblera l’Uni du futur?

«L’Uni sera digitale, interactive, connectée et au centre des débats publics. Pour y parvenir, nous devons poursuivre nos investissements dans le numérique et réviser nos programmes d’étude pour intégrer ces outils dans chaque discipline et chaque parcours. Il faudra également investir dans le développement personnel du corps académique afin qu’il puisse s’adapter et permettre davantage de formations continues. Continuer à investir dans les capacités multilingues, un de nos grands atouts, sera également essentiel. Nous avons récemment créé un centre de langues afin que chaque étudiant puisse se perfectionner dans au moins trois langues: français, allemand, anglais. Un des buts de l’université est que chaque jeune diplômé maîtrise au moins deux langues étrangères, ce qui correspond aux objectifs européens de Barcelone définis en 2002 et jamais atteints. Enfin, sa dimension de plateforme de réflexion devra être renforcée. Je compte pour cela sur tout le potentiel de Belval.»

Interview par Florence Thibaut   

 

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