L'homme aux 65 brevets

Le chercheur belge prend la direction du Centre de compétence pour les matériaux composites.

Source : Le Jeudi
Date de publication : 24/12/2015

 

Ni les ministres Closener et Hansen, ni Luxinnovation, ni le recteur Rainer Klump, ni le patron du List, Gabriel Crean, n'ont été en mesure, vendredi 18 décembre, de présenter celui qui, le 1 er janvier, dirigera leur enfant, le NCC-L, le centre de compétence des matériaux composites. Le jour de la présentation du Centre, Philippe Dubois vaquait à d'autres occupations, aux USA. Mais à peine débarqué à Luxembourg, il prenait les choses en main, procédait à des entretiens d'embauche de futurs collaborateurs.

C'est que le professeur Dubois, alerte quinqua, est grand voyageur. Entre autres fonctions, il enseigne son dada, les matériaux composites, les polymères, les nanocomposites, notamment dans des universités étrangères, en Chine et en Arabie saoudite.

Mais c'est à l'université de Mons (UMons), en Belgique, et dans son laboratoire, Cirmap (160 emplois), que le List (Luxembourg institute of sciences and technology) lui a mis la main au collet. « Ce n'est pas moi qui ait entrepris les démarches, sourit le chercheur . J'ai été contacté en avril 2015 alors que je donnais une conférence à Montpellier. Cela dit, j'étais déjà en contact avec le Centre Tudor .»

Philippe Dubois ne fera pas de la figuration. « Directeur, ce sera une fonction à plein temps. Je me mets en congé de l'université de Mons. Et je me lance un nouveau défi », dans cet univers nouveau qui, déjà, le fascine. « L'Université du Luxembourg, Belval, les centres de recherche rassemblés..., c'est le fruit d'une démarche d'une grande intelligence », dit-il. Il se met dès lors en congé de son université dont il assuma aussi les fonctions de vice-recteur, en charge précisément de la recherche. Mieux qu'à Mons (« il n'y avait rien quand je suis arrivé» ), il sait que, sur le site universitaire, il ne part pas de rien.

« Le List, la nouvelle organisation, Belval..., c'est vraiment l'avenir. » Outre son nouveau poste de directeur, Philippe Dubois devient professeur à l'Université. Dans le domaine de la recherche, d'une part. Dans l'application ensuite. Car sa conviction ne bouge pas d'un iota: « Nous devons aller de la recherche au stade de l'industrialisation. Sur cette échelle, le List et le NCC jouent un rôle fondamental. Au niveau des matériaux, nous serons le chaînon manquant .»

Anti-encrassement

Le NCC, suite aussi à la restructuration des départements dévolus à la recherche et aux technologies, s'articulera autour de deux axes surtout, celui consacré aux nanomatériaux et aux nanotechnologies, puis aux «sustainable materials», en lien étroit avec le développement durable et l'économie circulaire. C'est un peu ce que, dans le jargon, on appelle le RDI (recherche-développement-innovation).

« Mon intérêt personnel, c'est que le fruit de mes recherches aboutisse à l'application industrielle », ce qui, dans son esprit, n'a strictement rien de révolutionnaire. De fait, le chercheur est habitué à ce lien étroit entre la recherche menée dans le laboratoire dont il assurait la direction et l'implication industrielle. A cet égard, il collectionne, en rayon, une foultitude d'expériences. En l'occurrence, quelque 65 brevets et 600 publications scientifiques qui, voici quelques semaines à peine, lui ont valu, en Belgique, le prix quinquennal du FNRS dévolu aux sciences exactes appliquées.

Sur l'ensemble de ses brevets, il extrait volontiers deux «success stories.» La première a donné lieu à un procédé industriel de production continue d'un bioplastique, ceci sur base d'excédents et de déchets agricoles. Soit, en aval, une production annuelle de 1.500 tonnes qui, notamment, servent à la création de fibres utilisées dans la confection d'enveloppes de GSM. Il avoue sa satisfaction d'avoir décroché un deuxième brevet qui a trouvé une application dans le domaine de la plaisance. « Il s'agit d'une peinture "anti-encrassement marin" respectueuse de l'environnement et que l'on applique sur les coques des bateaux de plaisance. Cette peinture, qui ne libère aucun métal, apporte un gain en vitesse et réduit la consommation de carburant. »

Le centre de compétence, plateforme de la technologique, bénéficiera directement de l'énorme expertise du List et de l'Université. « Nous apporterons une troisième dimension dans un souci de durabilité et avec une orientation en faveur de l'industrie qui est demandeuse. Un comité industriel accompagnera d'ailleurs le List .»

 

Luxembourg, un grand du composite

De la recherche fondamentale à l'application industrielle, la distance disparaît.

Le matériau composite est partout. Sur nous, comme l'imperméable fait de caoutchouc posé sur le coton. En nous, comme les amalgames dentaires. Sous nos pieds, déambulant sur le béton armé ou le tapis plain. A la main, lorsque nous jouons au tennis.

L'industrie jongle toujours davantage avec les matériaux composites. Celle qui touche à tous les transports, depuis l'aérospatial et l'aérien jusqu'au maritime, en passant par le chemin de fer et l'automobile. La fabrication concerne tout autant le bâtiment, le sport, le loisir comme la pêche.

Au Luxembourg, de nombreuses entreprises travaillent ces matériaux. Ainsi, Delphi, DuPont, Goodyear, Airtech, Euro-Composites, Michelman et d'autres génèrent bon an mal an 400 millions d'euros de chiffre d'affaires. Le secteur occupe 1.600 salariés.

L'importance de celui-ci n'a pas laissé indifférents les acteurs économiques, de la recherche et du gouvernement. Sous l'égide de l'agence nationale pour la recherche et l'innovation, Luxinnovation, ces industriels se fédèrent.

Et, avec le monde de la recherche, l'Université et le List, ainsi que les ministères de l'Economie et de la Recherche, ils viennent de poser sur les fonts baptismaux le Centre de compétence national pour les matériaux composites, le NCC-L.

A parts égales, les secteurs privé et public (les deux ministères et le Fonds national de la recherche) consacrent une enveloppe de cent millions d'euros en cinq ans.

Pour l'heure, les 40 chercheurs du NCC sont hébergés au centre List, à Bascharage. Un nouveau bâtiment, en construction, abritera le Centre de compétences à la Cité des sciences, à Belval. Dès à présent, cette nouvelle institution recrute pour porter son effectif à 60 personnes.

En aval, le NCC espère générer rapidement 550 emplois industriels. Après les Etats-Unis, l'Angleterre et le Japon, Luxembourg devient la quatrième plate-forme mondiale du matériau composite qui, selon Philippe Dubois qui prendra ses fonctions de directeur au 1 er janvier 2016, s'ouvrira aussi aux universités proches. Avec Philippe Dubois, le Luxembourg vient de débaucher une sacrée pointure.
 

 

Michel Petit

 

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