La recherche et l'innovation publique ont connu une croissance exponentielle, en phase avec les ambitions du pays. Aujourd'hui, à un moment charnière de son évolution, le secteur entame une nouvelle étape qui, selon le Dr Marc Schiltz, secrétaire général du Fonds national de la recherche (FNR), permettra d'installer durablement le Luxembourg sur la scène internationale.
Source : PaperJam
Date de publication : 11/12/2015
Au début des années 2000, les CRP Lippmann et Tudor prenaient peu à peu de la consistance, le FNR (créé en 1999) développait ses premières initiatives, la recherche publique germait sur un terrain en friche. «Là où d'autres pays ont eu des décennies voire des siècles pour mettre en place leur secteur public de recherche et d'innovation, le Luxembourg a dû mettre les bouchées doubles pour combler le retard», explique le Dr Marc Schiltz, secrétaire général du FNR. En l'espace d'une décennie, le budget de l'État alloué à la recherche a été multiplié par 10. «Aujourd'hui, nous nous trouvons à un moment charnière tant pour la recherche publique que pour la recherche en général. Nous avons atteint un niveau de maturité qui nous impose de nouvelles responsabilités, mais aussi qui nous ouvre le chemin vers de nombreuses et attrayantes perspectives. »
Les dispositifs réglementaires ont été adaptés et rénovés, les conseils d'administration ont été renouvelés, de nouvelles têtes chapeautent les organigrammes (Gabriel Crean à la tête du List, Rainer Klump, recteur depuis un an de l'Université du Luxembourg), la fusion des CRP Tudor et Lippmann a permis d'atteindre une masse critique de chercheurs (le List compte entre 600 et 700 scientifiques) et, last but not least, «il y a le site de Belval que beaucoup de visiteurs étrangers nous envient». L'écosystème devient biotope ...
50/50
La recherche publique a donc bien négocié son premier virage et, déjà, certaines de ses compétences passent les frontières et s'affirment dans l'environnement européen, notamment pour ce qui concerne les domaines de l'ICT et de la biomédecine systémique.
Quant à la recherche privée, la situation est moins réjouissante, «car l'on constate une diminution des investissements privés dans le domaine de la recherche et de l'innovation depuis 2012», explique le Dr Marc Schiltz. «Les chiffres sont toutefois à relativiser, car si la crise a effectivement laissé des traces, il faut savoir qu'un facteur purement technique a également joué, à savoir la modification du mode de calcul. Par ailleurs, certains signes laissent augurer que les investissements repartent lentement à la hausse.»
Aujourd'hui, l'équivalent de 1,4% du PIB du Luxembourg est investi dans la recherche, chiffre stable depuis quelques années. «Mais la part de la recherche publique est plus importante et compense la baisse des investissements dans le privé. Aujourd'hui, la répartition est de 50/50.»
Un rapport Eurostat, publié en 2012, mettait notamment en exergue qu'au Grand-Duché, beaucoup d'entrepreneurs regrettaient le manque de partenariats entre le public et le privé, vu comme la difficulté majeure en matière de développement de leur département de recherche. «Cette année, un rapport de l'OCDE publié en avril formule comme recommandations principales de développer une vision stratégique générale, d'une part, et de favoriser le travail en synergie des acteurs privés et publics, d'autre part. Voici les axes de travail qui vont permettre au secteur de se développer et sur lesquels nous travaillons déjà, en concertation notamment avec le ministère de l'Économie, afin de développer une programmation conjointe, pour soutenir de grands projets de recherche entre des entreprises et des acteurs de la recherche publique. » Les synergies existent et le centre SnT (Security, Reliability and Trust) est révélateur de cette tendance, car après cinq années d'existence, il comptabilise une vingtaine de partenariats avec des entreprises situées sur le territoire luxembourgeois. C'est aussi un des objectifs que s'est fixés le List.
Des pistes de réflexion et d'action sont à l'ordre du jour et devraient, à terme, multiplier les opportunités de synergies. «Nous avons une université, une recherche scientifique, des infrastructures modernes; tout ceci est gratifiant pour l'image de marque du pays. Oui, mais nous devons maintenant mettre en place une stratégie de développement économique qui tienne compte de nos spécificités.» La taille du pays en est une: «Nous ne pouvons pas nous permettre de faire du saupoudrage. Il nous faut faire des choix, développer une vision cohérente et globale et réfléchir sur les secteurs d'avenir vers lesquels orienter notre politique de recherche.»
L'écosystème luxembourgeois est-il toujours propice au développement de la recherche publique ou privée? |
Dr Stéphane Gidenne Administrateur délégué (Laboratoires Ketterthill) Mettre en place des projets de recherche appliquée Le paysage scientifique luxembourgeois est en pleine expansion, en particulier sur le site de Belval avec l'implantation de structures de recherche telles que le LCSB (Luxembourg Centre for Systems Biomedicine) et le List (Luxembourg Institute of Science and Technology). De même, Ketterthill, laboratoire privé d'analyses médicales, vient de s'y établir. Équipés des technologies biomédicales les plus récentes pour les analyses de diagnostic de routine, nous pratiquons également des analyses d'expertise, effectuées dans notre département d'auto-immunité, le LLiP (Laboratoire luxembourgeois d'irnmunopathologie). Ce dernier possède une sérothèque de plus de 5.000 sérums dont certains sont le reflet de pathologies très rares ou d'entités cliniques nouvelles. Les fournisseurs de réactifs peuvent ainsi nous faire tester leurs dernières innovations en matière de recherche et développement, au profit d'hôpitaux universitaires, avant même qu'elles ne soient mises sur le marché. De la même façon, au niveau national, nous développons des collaborations médicales et scientifiques plus particulièrement avec le List, le LCSB, le LIH (Luxembourg Institute of Health) ou encore avec l'IBBL (Integrated BioBank of Luxembourg). La proximité de la plupart de ces structures favorise les contacts rapides et les échanges entre chercheurs, médecins et biologistes. Le développement récent de l'Université et le recrutement de chercheurs de haut niveau et d'horizons différents renforcent l'intérêt et la diversité de ces échanges. L'objectif est de mettre en place des projets de recherche appliquée par le biais de la complémentarité qui existe entre les structures publiques et les structures privées. |
Katia Manhaeve Partner (Allen & Overy) Concentrer la recherche sur des domaines de niche La réponse à la question posée est sans aucun doute affirmative, mais les efforts à fournir restent importants. Vu la taille du pays, il est essentiel de se concentrer sur des domaines de niche et de se baser sur les succès existants pour attirer les meilleurs chercheurs et afin d'encourager des partenariats plus importants entre recherche publique et privée. Au niveau financier, les possibilités d'obtenir des aides publiques et des financements, par exemple par l'intermédiaire du Fonds national de la recherche, sont intéressantes mais devraient davantage encore être complétées par des investissements du type venture capital ou par des business angels. L'infrastructure mise à disposition des chercheurs a énormément évolué, avec entre autres la présence d'une biobanque de renom ou encore l'évolution du site de Belval. Une demande du secteur des biotech reste cependant d'avoir accès à un «mice house» ou encore à des incubateurs disposant de laboratoires adaptés. Le Luxembourg devrait également tirer tous les avantages possibles de sa réputation établie en matière de technologies de l'information, domaine essentiel dans des secteurs de recherche aussi variés que les sciences de la vie, les matériaux ou encore les écotechnologies. |
Jean-Marc Streit