Un nouvel article de Nature examine l'outil de mesure de la durabilité pour apporter des solutions à la triple crise planétaire.
Dans quelle mesure les produits soi-disant écologiques que l'on trouve dans les supermarchés d'aujourd'hui sont-ils vraiment durables ? Si vous êtes un citoyen soucieux de l'environnement, il y a de fortes chances que vous ayez tendance à rechercher les différentes déclarations qui affirment que ces produits sont fabriqués d'une certaine manière - utilisation d'ingrédients naturels peut-être, ou de recyclage. Mais cela garantit-il que la brosse à dents recyclée que vous utilisez ou le sac à dos à la mode fabriqué à partir de bouteilles en plastique ont réellement un impact moindre sur l'environnement ? Il existe un moyen de le savoir. L'analyse du cycle de vie (ACV) est l'une des méthodes les plus utilisées pour mesurer la durabilité d'un produit (ou d'un système).
« L'ACV a été lancée dans l'industrie dans les années 1960 et a depuis lors été considérablement développée dans le milieu académique et normalisée par l'ISO, » explique Enrico Benetto, chef de l'unité « Environmental Sustainability Assessment and Circularity » (évaluation de la durabilité environnementale et de la circularité) au LIST. Enrico Benetto a récemment cosigné un article sur l'ACV pour le journal Nature, qui examine le rôle de l'ACV dans la résolution des trois grands problèmes auxquels le monde est confronté aujourd'hui : le changement climatique, la biodiversité et la pollution.
L'ACV vise à évaluer les impacts environnementaux des produits de manière exhaustive. Contrairement aux évaluations conventionnelles qui ne prennent en compte, par exemple, que la phase d'utilisation d'un produit, l'ACV examine l'ensemble du cycle de vie du produit, de la création à l'élimination, en englobant toute la chaîne de valeur et d'approvisionnement, y compris la circularité. Cette approche holistique offre une perspective globale, empêchant l'optimisation d'un produit pour une phase au détriment des autres. Par exemple, l'optimisation d'un composant pour réduire la pollution pendant l'utilisation du produit peut, par inadvertance, augmenter la pollution pendant sa production.
« Prenons l'exemple des voitures électriques, » explique le chercheur. « Bien qu'il soit scientifiquement prouvé que, dans l'ensemble, elles sont nettement meilleures que les véhicules à moteur à combustion interne conventionnels pour atténuer le changement climatique lié à la mobilité individuelle, elles ne sont pas exemptes d'impact. Pendant leur phase d'utilisation, les voitures électriques ne génèrent aucune émission de carbone, mais la production de l'électricité utilisée peut être à forte intensité de carbone. »
En outre, l'ACV ne se concentre pas uniquement sur un seul impact environnemental. Au contraire, elle prend en compte les impacts multiples sur des domaines de protection tels que la santé humaine, les écosystèmes, la biodiversité et la consommation de ressources. « Il est essentiel de reconnaître que les efforts visant à atténuer un impact ne doivent pas en exacerber d'autres. Des matières premières critiques sont utilisées dans la production de batteries pour les véhicules électriques, par exemple. Une évaluation holistique à l'aide de l'ACV est donc nécessaire pour comprendre les compromis et savoir dans quelles conditions les incidences environnementales globales sont les plus réduites, » ajoute-t-il.
L'ACV est généralement utilisée pour comparer des produits ou des processus, mais elle est désormais utilisée pour relever des défis plus importants tels que la réduction des émissions de carbone, la création d'une économie circulaire, la promotion d'une consommation durable et l'amélioration de la viabilité financière. Lorsqu'il s'agit de produits ou de processus individuels, l'ACV dispose de lignes directrices et de normes claires à suivre, mais pour les études à plus grande échelle, notamment à l'échelle de l'économie, les méthodes évoluent encore et ne sont pas normalisées.
L'un des messages essentiels de l'article est l'évolution vers l'évaluation de systèmes à grande échelle plutôt que de produits individuels. Il s'agit d'examiner des chaînes de valeur entières et d'étudier comment les changements à un niveau donné affectent la stabilité à d'autres niveaux. Par exemple, selon les chercheurs, les politiques de consommation durable devraient être étudiées non seulement au niveau du consommateur individuel, mais aussi au niveau national ou territorial, afin de tenir compte des effets d'entraînement potentiels sur la population et les systèmes de production. Par ailleurs, les études d'ACV axées uniquement sur le changement climatique devraient prendre en compte de multiples indicateurs environnementaux, y compris la perte de biodiversité.
« Les chercheurs combinent l'ACV avec d'autres outils tels que les modèles d'évaluation intégrée (MEI) et l'analyse des flux de matières (AFM) pour obtenir une vision plus complète des impacts environnementaux, » explique Enrico Benetto. « Ces combinaisons sont utilisées pour explorer des scénarios permettant d'atteindre les objectifs climatiques, d'améliorer les modes de consommation et de comprendre l'impact de l'économie circulaire. »
Bien que ces combinaisons d'outils soient prometteuses, l'étude souligne qu'il reste encore du travail à faire pour les rendre plus standardisées et plus utiles pour les décideurs politiques. « En normalisant ces méthodes, nous pourrons mieux relever les défis complexes liés à la triple crise planétaire du changement climatique, de l'épuisement des ressources et de la dégradation de l'environnement, » ajoute-t-il. « En fin de compte, l'ACV peut jouer un rôle crucial en nous guidant vers un avenir durable, mais nous devons mettre ces connaissances en pratique pour faire une réelle différence. »
L'article a été rédigé par Stefanie Hellweg (ETH Zurich), Enrico Benetto (LIST), Mark A. J. Huijbregts (Radboud University, Nijmegen), Francesca Verones et Richard Wood (Norwegian University of Science and Technology).