Le monde est témoin d'une tendance croissante à la bioéconomie, qui utilise des organismes vivants pour créer des matériaux plus sûrs et plus durables. Ce mouvement vise à remplacer les produits synthétiques conventionnels qui sont toxiques à fabriquer ou à utiliser, difficiles à recycler et dont l'empreinte carbone est importante. Un concept qui va de pair avec la bioéconomie est la "chimie verte", qui se concentre sur un ensemble de principes visant à concevoir des produits et des processus chimiques tout en minimisant ou en éliminant l'utilisation et la production de substances dangereuses. Bien que le mouvement en faveur de la bioéconomie et de la chimie verte soit encore relativement modeste à l'échelle mondiale, la volonté de transformer les recherches fructueuses en produits durables par le biais de processus de fabrication durables prend de plus en plus d'ampleur.
Au LIST, au sein du département Materials Research and Technology (MRT), les chercheurs travaillent à la transformation de tous les résidus disponibles, tels que les déchets agricoles et les déchets de bois, les plantes non utilisées comme le bambou et les champignons, ainsi que les déchets industriels et de consommation de masse, en produits biosourcés et chimiques durables.
« Les composés biosourcés peuvent être fabriqués à partir de ressources naturelles. Nous pouvons utiliser des matériaux apparemment sans importance pour créer des produits fonctionnels », explique Jean-Sébastien Thomann, qui dirige le groupe Powder and Colloids Engineering au LIST-. L'équipe de Jean-Sébastien Thomann travaille sur l'un de ces matériaux. « Nous nous concentrons sur l'utilisation de matériaux dérivés du bois, en particulier la lignine », ajoute-t-il.
La lignine, un résidu de la biomasse, peut être transformée en un additif ou une matière de charge intelligente pour renforcer d'autres matrices polymères. « Par exemple, nous avons réussi à modifier des composites en caoutchouc pour les rendre plus souples ou plus durs en incorporant des particules de lignine aux propriétés spécifiques », explique Jean-Sébastien. « En modifiant la lignine, nous pouvons créer des colloïdes et des particules de différentes tailles, qui peuvent être utilisés pour diverses applications. Par exemple, nous avons découvert que les particules de lignine les plus petites peuvent être utilisées pour renforcer les pneus. En outre, ces particules ont des propriétés antibactériennes, que nous avons encapsulées dans des fibres pour les utiliser dans des textiles intelligents. »
La cellulose, un autre « déchet », est également un matériau de prédilection pour le groupe de Jean-Sébastien. Plus précisément, les nanocristaux de cellulose (CNC) et la cellulose microfibrillée (MFC), qui peuvent être aussi rigides que le verre, sont utilisés pour renforcer les polymères.
La MFC est constituée de fibrilles, explique le chef de groupe, qui peuvent être extraites de la structure plus large, puis purifiées pour préserver les parties les plus robustes. Ce matériau peut être utilisé pour créer des cristaux liquides, qui diffractent la lumière et peuvent générer ce que l'on appelle une « couleur structurelle »", du même type que celle que l'on trouve dans les ailes des papillons. « Nous avons également pu modifier chimiquement des particules de cellulose, ce qui permet d'altérer les propriétés mécaniques des polymères. »
En complément des travaux sur la cellulose et la lignine, les vitrimères, une classe de polymères autocicatrisants et remaniables, sont de véritables stars dans le domaine de la fabrication durable. Ces matériaux ressemblent aux thermodurcissables traditionnels - les résines époxy que l'on trouve dans toutes les quincailleries en sont un exemple courant. Liquides ou pâteux au départ, ces matériaux se solidifient et durcissent grâce à des réactions chimiques qui induisent la création d'un réseau de polymères réticulés. Avec les thermodurcissables classiques, ce processus est irréversible, générant des matériaux robustes aux propriétés excellentes, mais qui ne peuvent être fondus, dissous ou recyclés.
Contrairement aux thermodurcissables classiques, les vitrimères possèdent des liaisons chimiques qui deviennent dynamiques lorsqu'ils sont chauffés et s'échangent rapidement entre eux, ce qui permet de les réparer, de les remodeler, de les recycler et de les réutiliser.
« Cela rend les vitrimères extrêmement intéressants comme support pour les composites à base de fibres utilisés dans les pales d'éoliennes, les bateaux, les voitures et les avions », explique Daniel Schmidt, responsable du groupe Sustainable Polymeric Materials au LIST. Les composites à base de fibres garantissent des performances mécaniques élevées pour un poids minimal et représentent une technologie clé pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais les systèmes conventionnels ne peuvent pas être réparés ou recyclés. Les vitrimères peuvent résoudre ce problème.
Daniel explique que le recyclage mécanique et le recyclage chimique sont tous deux possibles dans ce contexte. Dans le premier cas, les vitrimères purs ou renforcés par des particules peuvent être broyés et pressés à chaud plusieurs fois sans perdre leurs propriétés. Dans le second cas, la matrice des composites à base de vitrimère peut être retirée proprement et facilement, ce qui permet de réutiliser des fibres de renforcement de grande valeur.
« Nous travaillons également sur des vitrimères biosourcés », ajoute Daniel, « un exemple de ce type de matériau développé par l'un des chercheurs de mon groupe utilise des composés dérivés de pelures de pommes, entre autres. Une autre capacité impressionnante des vitrimères réside dans le fait que ces matériaux peuvent également être cicatrisés. En cas d'égratignure, il suffit de chauffer le matériau pour qu'il se ressoude tout seul ! »
En ce qui concerne le processus de fabrication proprement dit, une tendance majeure, tant au Grand-Duché que dans le monde entier, est la production de matériaux d'une manière qui soit durable à la fois sur le plan économique et sur le plan environnemental. Pour ce faire, les fabricants doivent examiner attentivement chaque aspect du cycle de vie de leur produit, depuis la conception et l'approvisionnement jusqu'à la fabrication, la livraison et même le suivi. Henri Perrin, responsable de la Plateforme Composite Manufacturing au LIST, dont l'expertise porte sur la conception et la production de composites durables, explique : « Au LIST, nous essayons de permettre le traitement de fibres durables par le biais d'approches de fabrication durables. Plus précisément, nous adaptons les processus existants pour produire des biocomposites en utilisant à la fois des fibres naturelles et des systèmes de résines biosourcées. »
L'accent est également mis sur le développement de procédés durables en réutilisant les déchets de production dans le processus de fabrication, ce qui permet d'éviter d'importantes étapes de gestion des déchets. « Dans le cadre du projet Natalina de M-ERA.NET -un réseau financé par l'UE et créé pour soutenir et renforcer la coordination des programmes de recherche européens et des financements connexes dans le domaine de la science et de l'ingénierie des matériaux-, nous développons une approche de production en cours qui réutilise les chutes de matériaux pour améliorer les propriétés de formabilité, en utilisant notamment des semi-produits à base de fibres de lin », ajoute Henri.
Il explique qu'un groupe de travail conjoint a été formé pour tirer parti de l'effet de synergie résultant de la combinaison des compétences de la chimie verte et de la fabrication avancée, l'objectif étant de présenter des preuves de concept innovantes susceptibles d'ouvrir des perspectives pour des applications industrielles à grande échelle.
« Actuellement, nous travaillons sur un certain nombre de projets avec des acteurs industriels nationaux et européens majeurs », poursuit Henri. « Un exemple est Vitrispace, un projet sur lequel nous travaillons avec Thales Alenia Space pour des applications spatiales. » Financé par l'Agence spatiale européenne, le projet consiste à préqualifier l'utilisation de bio-composites et de vitrimères biosourcés, synthétisés au LIST, dans un environnement spatial simulé. L'équipe d’Henri Perrin développe également des solutions compatibles avec le bobinage 3D des bio-composites en collaboration avec l'entreprise luxembourgeoise Gradel, dans le cadre d'un projet financé par le Fonds national de la recherche (FNR) appelé Greenshaper. Dans le cadre de cette initiative, des vitrimères biosourcés fabriqués au LIST sont associés à des fibres de basalte durables.
« L'industrie s'intéresse fortement aux biocomposites en général », conclut le chef de la plateforme. « Toutefois, avant un déploiement industriel plus large, nous devons d'abord démontrer la capacité de ces matériaux à être utilisés dans des applications représentatives telles que l'espace, l'automobile ou le stockage de l'hydrogène. En outre, nous devons développer et valider des processus durables qui nous permettront de produire le matériau ciblé et les pièces à grande échelle, en respectant les spécifications techniques et économiques et en réduisant de manière significative l'impact environnemental global. »
La collaboration est cruciale lorsqu'il s'agit de réunir et de valoriser tous ces efforts de recherche. Par exemple, le groupe de Jean-Sébastien Thomann fournit des nanoparticules de lignine pour un projet du groupe de Daniel Schmidt qui se concentre sur la fabrication de réseaux poreux de polymères biosourcés pour le traitement des eaux usées. « Nous avons également pu affiner les MFC pour produire des nanofibrillations de cellulose (NFC) dans le cadre d'un projet Horizon de l'Union Européenne axé sur l'innovation ouverte dans le domaine des matériaux polymères biosourcés », ajoute Daniel.
De même, les vitrimères développés par le groupe de Daniel sont utilisés comme matériau de matrice pour divers composites durables que le groupe d'Henri Perrin utilise et adapte à la production industrielle.
Daniel souligne : « même si nous avons chacun notre expertise et que nous faisons du travail créatif et innovant chacun de notre côté, c'est lorsque nous combinons nos capacités que nous pouvons vraiment maximiser notre impact et générer les résultats les plus intéressants. »
Parlant de l'importance de la collaboration, Damien Lenoble, Directeur du département MRT, ajoute : « il est inhérent à l'ADN de notre département de rassembler de multiples expertises et résultats de recherche dans une approche pertinente pour atteindre des objectifs bien définis. Il s'agit d'une démonstration forte des avantages précieux apportés par la concentration de la recherche en MRT sur ses technologies de base. En 2018, une stratégie globale a été définie et lancée, conduisant à des technologies véritablement impactantes et perturbatrices qui contribuent à résoudre certains des défis les plus pressants liés à la pénurie de ressources et à l'empreinte carbone de notre société moderne. »
Les trois experts reconnaissent que le moment est propice pour donner de nouvelles impulsions à la recherche sur les produits biosourcés et la chimie verte. Ils ajoutent cependant qu'il existe de nombreux chemins vers la durabilité et qu'il est important de reconnaître que le simple fait d'utiliser des matériaux d'origine biologique ne rend pas nécessairement une solution durable.
Les principes de la chimie verte, par exemple, qui recommandent d'utiliser des agents non toxiques et de ne pas laisser de résidus nocifs, « peuvent sembler intuitifs », précise Daniel Schmidt, « mais historiquement, l'industrie n'a pas toujours réussi à les mettre en œuvre, ce qui a provoqué des déchets coûteux et des atteintes à l'environnement. » Lorsque l'on cherche à mettre en place des processus durables, il est donc essentiel d'examiner attentivement les aspects positifs et négatifs de toute solution, qu'elle soit d'origine biologique ou non.
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