Des chercheurs du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) ont participé à une étude qui a permis de créer une structure cristalline unique et artificielle en empilant des couches monocristallines d'oxydes céramiques à différents angles les unes par rapport aux autres. La nouvelle génération de matériaux synthétiques qui en résulte pourrait fournir des solutions pour améliorer la densité de stockage des informations et l'efficacité énergétique des futurs appareils informatiques. L'étude, menée par l'Université Complutense de Madrid (UCM), en collaboration avec le LIST et l'Institut des sciences des matériaux de Madrid (ICMM-CSIC), a été publiée dans Nature.
Dans les cristaux naturels ou produits en laboratoire, les atomes sont disposés périodiquement, formant des couches empilées les unes sur les autres. Ces couches présentent naturellement des facettes et suivent des directions de croissance spécifiques. "Ce qui distingue ce travail, c'est la possibilité de faire pivoter une couche par rapport à l'autre, un processus qui n'a pas été observé dans la nature", explique Hugo Aramberri, Research and Technology (R&T) Associate au sein du département des matériaux du LIST et l'un des coauteurs de l'étude. Il explique qu'en contrôlant précisément cet angle de rotation en laboratoire, de nouvelles propriétés apparaissent à l'interface entre les couches. Ces propriétés émergentes diffèrent de celles trouvées dans les couches individuelles.
Le matériau étudié ici appartient à une catégorie connue sous le nom de ferroélectrique - un type de substance qui présente une polarisation électrique spontanée. Les matériaux ferroélectriques sont similaires aux aimants en ce sens qu'ils possèdent des pôles positifs et négatifs de charge électrique au lieu de pôles magnétiques. Et comme c'est le cas pour les aimants, ces matériaux comportent des dipôles. "L'application d'un champ électrique peut inverser la polarité de ces dipôles", explique Hugo Aramberri. "Cette propriété est prometteuse pour les applications technologiques, car l'orientation de ces dipôles peut coder des informations." Toutefois, les matériaux ferroélectriques conventionnels ne permettent pas de contrôler avec précision les dipôles individuels, ce qui limite leur capacité à réduire le stockage de la mémoire au niveau atomique.
La recherche en question a conduit à la création de cristaux d'oxyde avec un nouveau degré de liberté et un contrôle atomique inexistant dans la nature, en explorant le nouveau concept de "twistronics". Cette technique consiste à faire tourner délibérément des couches de cristaux à l'échelle atomique. La manipulation de ces couches permet de créer des motifs uniques, connus sous le nom de motifs moirés, qui influencent la manière dont les couches interagissent. Selon les modèles théoriques d'Hugo Aramberri et de Jorge Íñiguez-González, Lead R&T Associate au LIST et autre coauteur de l'étude, ces motifs sont responsables de l'émergence de nouveaux comportements observés dans le matériau. Cette interaction conduit également à la formation d'un état ferroélectrique caractérisé par de petits tourbillons de polarisation électrique.
"De nouvelles façons de manipuler les dipôles individuels à l'échelle atomique, comme c'est le cas ici, pourraient permettre de mettre au point de nouvelles technologies de stockage de mémoire plus compactes", explique Hugo Aramberri. La recherche prévoit des densités de stockage supérieures à 100 térabits par pouce carré, ce qui représente un bond en avant par rapport à la limite actuelle de 1 térabit par pouce carré. Cette avancée est cruciale pour répondre au besoin croissant de stockage de données à haute capacité et à faible consommation d'énergie, avec la possibilité de dépasser les yottaoctets dans les dix prochaines années.
En ce qui concerne les recherches ultérieures, le chercheur indique que, si les projets spécifiques ne sont pas encore finalisés, les implications plus larges de l'étude comprennent des possibilités d'explorer et d'utiliser de nouveaux effets et caractéristiques dans divers oxydes cristallins et autres matériaux, et d'étudier les interactions potentielles avec le magnétisme. "À terme, l'objectif est de tirer parti de ces connaissances pour faire progresser les technologies de la mémoire, ce qui permettrait d'obtenir un stockage de l'information beaucoup plus dense. Bien que des plans concrets soient encore en cours d'élaboration, cette recherche ouvre la voie à de futures découvertes", conclut-il.