Le changement climatique pourrait devenir le principal facteur de déclin de la biodiversité d'ici le milieu du siècle

Publié le 25/04/2024

Selon la vaste étude multi-modèle publiée dans Sience le 26 avril, la biodiversité mondiale pourrait avoir diminué de 2 % à 11 % au cours du 20e siècle en raison du changement d'occupation des sols induit par l'Homme. Les projections montrent que le changement climatique pourrait devenir le principal facteur de déclin de la biodiversité d'ici le milieu du 21e siècle.  
 
Dirigée par le German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv) et la Martin Luther University Halle-Wittenberg (MLU), cette analyse est la plus grande étude de modélisation de la biodiversité et des services écosystémiques de ce type à ce jour. Les chercheurs ont comparé pas moins de treize modèles pour évaluer l'impact du changement d'occupation des sols et du changement climatique sur quatre métriques distinctes de la biodiversité, ainsi que sur neuf services écosystémiques.

Nicolas Titeux, responsable de l’Observatory for Climate, Environment and Biodiversity du LIST, a joué un rôle actif dans cette recherche novatrice, qui appelle à de nouveaux efforts politiques pour atteindre les objectifs internationaux en matière de biodiversité. Il a apporté ses connaissances sur les rôles relatifs des facteurs directs du changement de la biodiversité et sur la manière dont ils sont intégrés dans les modèles à grande échelle. Il a également veillé à ce que les résultats de cette collaboration internationale soient pris en compte dans le rapport d'évaluation mondiale de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).

La biodiversité mondiale pourrait avoir diminué de 2% à 11% en raison du changement d'occupation des sols

Selon l'IPBES, le changement d'occupation des sols est considéré comme le principal facteur de modification de la biodiversité. Toutefois, les scientifiques ne s'accordent pas sur l'ampleur de l'évolution de la biodiversité au cours des dernières décennies. Pour mieux répondre à cette question, les chercheurs ont modélisé les effets du changement d'occupation des sols sur la biodiversité au cours du XXe siècle.  
 
Sur la base de reconstructions historiques, ils ont constaté que la biodiversité mondiale pourrait avoir diminué de 2 % à 11 % en raison du seul changement d'occupation des sols. Cette fourchette couvre un éventail de quatre métriques de la biodiversité calculées par sept modèles différents. Plus précisément, les scientifiques ont pris en compte la richesse des espèces au niveau global et local (c'est-à-dire le nombre d'espèces selon une échelle définie), l'étendue moyenne de l'habitat des espèces et l'intégrité de la biodiversité (c'est-à-dire la proportion de la biodiversité naturelle d'un écosystème qui subsiste malgré l'impact de l'Homme).

Des tendances mitigées pour les services écosystémiques

À l'aide d'une autre série de cinq modèles, les chercheurs ont également calculé l'impact simultané du changement d'occupation des sols sur ce que l'on appelle les services écosystémiques, c'est-à-dire les avantages que la nature procure à l'Homme. Au cours du siècle dernier, ils ont constaté une augmentation massive des services écosystémiques d'approvisionnement, comme la production de nourriture et de bois, au détriment des services écosystémiques de régulation comme la pollinisation, la rétention d'azote ou le piégeage du carbone, qui ont modérément diminué.  

Les changements combinés du climat et de l'occupation des sols pourraient entraîner une perte de biodiversité dans toutes les régions du monde

Les chercheurs ont également examiné comment la biodiversité et les services écosystémiques pourraient évoluer à l'avenir. Pour ces projections, ils ont ajouté à leurs estimations le changement climatique en tant que facteur de plus en plus important de modification de la biodiversité.
 
Selon les conclusions de l'étude, le changement climatique risque d'exercer une pression supplémentaire sur la biodiversité et les services écosystémiques. Si le changement d'occupation des sols reste pertinent, le changement climatique pourrait devenir le principal facteur de perte de la biodiversité d'ici le milieu du siècle. “Bien entendu, ces comparaisons entre facteurs doivent être interprétées avec prudence", déclare Nicolas Titeux, coauteur de l'étude. "Il existe des différences dans la manière dont les modèles capturent les impacts du changement climatique et ceux de l’occupation des sols, ainsi que dans le grain spatial auquel ces impacts sont estimés. Cela fait partie des incertitudes de modélisation restantes identifiées par l'étude".
 
Les chercheurs ont évalué trois scénarios largement répandus, allant d'un scénario de développement durable à un scénario de fortes émissions. Pour tous les scénarios, les effets combinés du changement d'occupation des sols et du changement climatique entraînent une perte de biodiversité dans toutes les régions du monde. Si la tendance générale à la baisse est cohérente, il existe des variations considérables entre les régions du monde, les modèles et les scénarios. Les baisses les plus importantes sont par exemple prévues en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie du Sud.

Les projections ne sont pas des prédictions

"L'objectif des scénarios à long terme n'est pas de prédire ce qui va se passer", explique Inês Martins, de l'université de York, coauteur de l'étude. "Il s'agit plutôt de comprendre les alternatives, et donc d'éviter ces trajectoires qui pourraient être les moins souhaitables, et de sélectionner celles qui ont des résultats positifs. Les trajectoires dépendent des politiques que nous choisissons, et ces décisions sont prises jour après jour". Mme Martins a codirigé les analyses du modèle et est une ancienne élève de l'iDiv et de la MLU.
 
Les auteurs notent également que même le scénario évalué le plus durable ne déploie pas toutes les politiques qui pourraient être mises en place pour protéger la biodiversité dans les décennies à venir. Par exemple, le déploiement de la bioénergie, un élément clé du scénario de durabilité, peut contribuer à atténuer le changement climatique, mais peut aussi réduire les habitats des espèces. En revanche, les mesures visant à accroître l'efficacité et la couverture des zones protégées ou le ré-ensauvagement à grande échelle n'ont été explorées dans aucun des scénarios. "Cela appelle à une nouvelle génération de scénarios et de modèles qui visent à atteindre des futurs positifs réalistes pour la biodiversité", ajoute Nicolas Titeux.

Les modèles aident à identifier les politiques efficaces

Selon les chercheurs, l'évaluation de l'impact de politiques concrètes sur la biodiversité permet d'identifier les politiques les plus efficaces pour sauvegarder et promouvoir la biodiversité et les services écosystémiques. "Nos résultats montrent clairement que les politiques actuelles sont insuffisantes pour atteindre les objectifs internationaux en matière de biodiversité. Nous devons redoubler d'efforts pour progresser dans la lutte contre l'un des plus grands problèmes mondiaux, à savoir la modification de la biodiversité causée par l'Homme", ont conclu les auteurs.

Pour en savoir plus : Pereira et al. (2024). Global trends and scenarios for terrestrial biodiversity and ecosystem services from 1900 to 2050, Science DOI: 10.1126/science.adn3441

 

Photo: Le changement d'occupation des sols est considéré comme le principal facteur de déclin de la biodiversité au XXe siècle. La photo montre un champ céréalier géré de manière intensive en Allemagne. (C) Guy Pe’er

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